D’après la correspondance publiée en 2017 :
« J’ai bien souvent de la peine avec Dieu » ed. Cerf. 2017
Marie Noël, de son vrai nom Marie Rouget (1883-1967) est sans doute la plus méconnue des écrivains chrétiens de ce temps (Claudel, Bernanos, Péguy). Pourtant comblée d’une dizaine de prix littéraires, dont celui de l’Académie Française, elle ne dort pas dans nos mémoires d’écolier. Elle vit dans l’ombre… mais risque bien d’en sortir aujourd’hui, depuis que la conférence des évêques de France a sollicité en février 2017 l’ouverture, pour la servante de Dieu, d’une cause en béatification.
Les poèmes de l’enfance et la légèreté du monde de Dieu
Marie Noël est surtout connue pour ses chansons et ses poèmes de l’enfance. Les titres de ses œuvres ne laissent aucun doute sur son appartenance aux “poétesses religieuses” quoiqu’elle en détestât l’appellation. On le comprend d’ailleurs, car sur des thèmes en général bien connus (Les Mystères du Rosaire, le Cantique de Pâques, Chants et psaumes d’automne…) son écriture enrubanne la foi, mais ne cherche pas à convaincre. Par contre elle allège la gravité du monde, sa lourdeur, métamorphose la simple évocation de “l’Annonciation”, par exemple, en un souffle léger, venu tout droit du ciel et du monde angélique.
La correspondance avec l’abbé Mugnier
Ce prêtre, amateur bien repérable d’âmes et d’œuvres littéraires, « confesseur du tout Paris » estompe, raye parfois l’image première de Marie Noël, pieuse, légère ; son univers à la François d’Assise. De questions en réponses, de lettres en lettres, l’on perçoit alors le dessous des cartes, l’intériorité aussi profonde que tourmentée de notre poète. Elle navigue d’une dépression à une autre, souvent submergée par de douloureux scrupules en tous genres. Doit-elle, et peut-elle, du temps de l’Index lire Maeterlinck, Flaubert, Valéry, sans y laisser son âme et y perdre sa foi ? L’abbé Mugnier la rassure sans cesse, lui ouvre un peu partout des chemins de liberté qu’elle emprunte comme par obéissance. Il la rassure d’ailleurs sans cesse, avec justesse et bonté réaliste lorsqu’elle décrit sincèrement, dans une prose impeccable, les affres de sa “maladie nerveuse”, entre crises d’atonies et angoisses prolongées ; de là, ses faiblesses de l’âme. Non pas sa négation de Dieu – l’athéisme du XIX° siècle lui demeure étranger – mais la peine qu’elle a à le disculper surtout de la souffrance et du Mal qui frappe le monde. La mort, la rupture des amitiés… Tout ce qui nous touche, bien sûr et lui arrache, plus qu’un cri de révolte, un “hurlement” insupportable ; hurler, comme une bête dans la nuit. C’est l’abîme en son fond. Elle l’exprime souvent : L’abîme , « toujours le même, le noir de Dieu ». L’écriture poétique en reflète alors l’obscurité déchirante (Hurlement, Office pour l’enfant mort, Croix au bord de l’Abîme, Mon Dieu, je ne vous aime pas)…
Pour le reste, la “petite dame d’Auxerre” nous laisse à lire ou relire des poèmes apaisés. Et il y en a beaucoup comme l’Île étroite et infinie, un territoire à rêver dans l’enchantement d’une solitude sans bouleversement du corps ou de l’âme.
Annick Rousseau
Marie NOËL
Recueil : “Chants d’arrière-saison”
Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
Que les barques de loin entourent d’élans
Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,
Mon Île où s’élance en secret la montagne
La plus haute que Dieu heurte du talon
Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
Qui n’a que la mer farouche pour compagne.
Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
Espace où les vols se brisent, Solitude.
Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
Sans cesse les perd, sans cesse recommence.
Désolation royale, terre folle
Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
Mon Île, tu tiens un Silence captif
Qu’interroge en vain la houle des paroles.